mercredi 2 mars 2011

Sermon du dimanche 20 février 2011

Dimanche Septuagésime

Texte : Lc 17.7-10

Chants proposés :

Gloire à ton nom, ô Dieu de paix, AeC 261 : 1-3

Seigneur, écoute ma prière, AeC 143 : 1-4

Tu me veux à ton service AeC 427 : 1-3

7 « Si l’un de vous a un esclave qui laboure ou garde les troupeaux, lui dira-t-il, à son retour des champs : "Viens tout de suite te mettre à table !" ?

8 Ne lui dira-t-il pas, au contraire : "Prépare-moi à souper, ajuste ta tenue pour me servir jusqu’à ce que j’aie mangé et bu ; après cela, toi, tu mangeras et tu boiras." ?

9 A-t-il de la reconnaissance envers cet esclave parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné ? Je ne pense pas.

10 Vous, de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dite : "Nous sommes des esclaves sans prétention ; nous avons fait ce que nous devions faire." »

Chers serviteurs du divin Maître,

Quand j’ai lu le texte qui nous est proposé pour la prédication de ce dimanche, j’ai d’abord eu un mouvement de recul, car nos versions traduisent généralement la fin de cet épisode par la sentence : « Nous sommes des esclaves [ou : des serviteurs] inutiles. »

Que dire d’une phrase qui contredit son contexte ? Comment s’en sortir ? Comment trouver une application où on ne se mord pas la queue ?

Il est vrai, il y a des passages bibliques qui nous demeurent obscurs, dont nous n’aurons l’explication que dans l’au-delà. Mais prêcher sur le texte tel que le traduisent la plupart de nos versions, c’est tout simplement contredire tout ce que Dieu dit par ailleurs dans la Bible, y compris ce qui précède et suit cette constatation dans notre texte.

Alors, comment en est-on souvent arrivé à cette traduction insolite ? – Parce qu’en grec il y a deux homonymes – ἀχρεῖος (achreios) – dont l’un signifie : « inutile » ou « non indispensable » ; l’autre par contre signifie : « sans prétentions ».

Posons-nous donc les trois questions :

SOMMES-NOUS

1 des serviteurs inutiles ?

2 des serviteurs non indispensables ?

ou

3 des serviteurs sans prétentions ?

… ce qui n’est pas la même chose.

X X X 1 X X X

Sommes-nous

des serviteurs inutiles ?

Nous avons tous déjà entendu notre verset sous la forme : « Nous sommes des serviteurs inutiles ! » (v. 10). On l’entend parfois répéter, sans avoir sans doute pris le soin de regarder son contexte, sans s’être pris la peine de réfléchir à l’ensemble de notre texte.

On utilise alors ce texte pour se flageller, un peu comme Martin Luther dans sa cellule du couvent des Augustins à Erfurt, avant qu’il ne découvre l’Evangile libérateur du Christ, Evangile qui le libérera et le propulsera dans un « service » qu’on ne voudra quand même pas qualifier d’« inutile » !

Voyons notre texte d’un peu plus près. Nous sommes en présence d’« un esclave qui laboure », qui « garde les troupeaux » et qui « prépare et sert le souper » à son maître. (v. 7-8).

Quiconque a quelques notions en agriculture et en élevage, saura qu’il n’est pas « inutile » de labourer et de s’occuper des troupeaux. D’ailleurs, quel maître dilapiderait sa fortune pour acheter et entretenir des esclaves rien que pour qu’ils fassent des choses superflues, qui ne servent à rien ?

Et quiconque est déjà rentré fatigué et affamé de son travail, saura aussi qu’il n’est pas non plus « inutile » de pouvoir s’asseoir à table et se rassasier pour reprendre des forces.

D’ailleurs, les serviteurs ou esclaves de notre texte indiquent : « Nous avons fait ce que nous devions faire. » (v. 10) Ils ont fait ce dont ils avaient été chargés. Toutes les paraboles – pour ne prendre que les paraboles – montrent que ce qu’y accomplissent les serviteurs a une utilité, même une grande importance. Au point, d’ailleurs, que le serviteur qui n’a pas été utile est puni et chassé, parce qu’il a laissé dormir son talent, parce qu’il aurait dû être utile, mais ne l’a pas été.

Pensez-vous que Dieu nous charge de choses inutiles, pour s’amuser, un peu comme si nous étions son jouet ? Non, l’apôtre Pierre nous dit que Dieu a fait de nous des « pierres vivantes » « afin d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ » (1 P 2.5).

Et Paul nous invite : « Soyez, par amour, serviteurs les uns des autres ! » (Ga 5.13) Certainement pas parce que c’est « inutile » !

Les conjoints qui s’entraident pour mener à bien leur entreprise de vie commune, les parents qui élèvent leurs enfants, les personnes qui effectuent honnêtement leur travail, notre engagement dans l’Eglise et dans la mission, tout cela serait « inutile » ? Bien sûr que non ! Sinon le Seigneur ne nous y enverrait pas

Paul peut parler de son « utilité » (1 Co 14.16) comme de celle des destinataires de ses lettres (Ac 18.27 ; 2 Tm 4.11 ; Phil 11).

Et quand Jésus dit que nous sommes « lumière du monde » et « sel de la terre », il parle bien de notre utilité dans le monde !

Quand Pierre indique : « Vous êtes un peuple choisi, des prêtres royaux, une nation sainte, un peuple racheté afin de proclamer les louanges » du Christ (1 P 2.9) … quand Jésus nous ordonne : « Allez, faites de toutes les nations des disciples ! » (Mt 28.19), nous charge-t-il, là, d’un service « inutile » ?

Non, votre engagement dans la vie de couple, dans la vie de famille, pour le bien de vos parents et amis, dans la vie de l’Eglise ou d’associations caritatives, dans le monde du travail, bref, votre vie de rachetés et de sanctifiés n’est pas « inutile », mais porte du fruit, car elle a l’approbation de votre Père céleste, et elle est bénie par lui.

Demandons-nous alors en second lieu :

X X X 2 X X X

Sommes-nous

des serviteurs non indispensables ?

Ce n’est pas tout à fait la même chose qu’être inutile. Je prends un exemple qui va bientôt vous concerner.

Je pense, j’espère, je suis même sûr, que mon ministère parmi vous n’est pas « inutile », sinon le Seigneur ne m’aurait pas appelé parmi vous et n’aurait pas lié sa bénédiction à l’annonce de son Evangile et à l’administration des sacrements dont il m’a chargé parmi vous.

Et si je pensais que mon ministère était inutile parmi vous, je désespérerais, je déprimerais, je n’aurais pas la force de poursuivre. Rassurez-vous : c’est loin d’être le cas.

Mais dans quelque temps, dans peu d’années maintenant, mon Maître se passera de moi, il me remplacera par un autre pour exercer le ministère fort utile parmi vous. Je suis utile, mais pas indispensable. Dieu peu utiliser quelqu’un d’autre à ma place.

Et cela est vrai de chacun de nous. Dieu nous a placés là où nous sommes. Il nous a « rachetés, afin que nous lui appartenions et que nous vivions dans son Royaume pour le servir » comme « père, mère ou enfant, maître ou serviteur, » (Luther, Petit Catéchisme), chef de service, manœuvre ou artisan, pasteur, diacre, conseiller presbytéral ou paroissien sans titre particulier.

Partout, Dieu nous a placés pour que nous soyons utiles. Mais restons humbles, ne pensons pas que nous puissions exercer une sorte de chantage sur Dieu – comme les employés le font parfois sur les employeurs (le contraire existe aussi, mais ce n’est pas le sujet). Ne pensons pas que Dieu ne puisse se passer de nous. Personne n’est irremplaçable – Jésus-Christ bien sûr excepté dans l’œuvre de notre rachat.

Soyons reconnaissants à Dieu qu’il n’ait pas voulu se passer de nous, qu’il nous ait rachetés, appelés à son service et qu’il nous emploie dans des services utiles que nous pouvons rendre dans la famille, à l’Eglise, au travail, dans la société.

Soyons-lui reconnaissants : il va jusqu’à trouver notre service « agréables par Jésus-Christ » (1 P 2.5) alors que nous sommes bien peu de choses comparés à lui et qu’il pourrait se passer de nous. Eh bien non ! il ne le fait pas.

Il n’est pas non plus comme le maître de notre texte qui « n’a pas de reconnaissance » pour les services que lui rend l’esclave (v. 9). Au contraire, Dieu est un Maître qui nous complimente et qui, dans sa grande bonté, nous dit par exemple : « C’est bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle […]. Viens partager la joie de ton maître. » (Mt 25.21-23)

Loué soit-il !

Demeure la dernière question : Si Dieu nous trouve utiles, bien que non indispensables,

X X X 3 X X X

Sommes-nous

« des serviteurs sans prétentions » ?

Revenons à notre histoire. Jésus prend les comparaisons dans la société de son époque. Il ne donne pas d’avis sur l’esclavage. Il utilise les relations qui existent dans le système social de ses auditeurs pour leur faire comprendre quelque chose.

Aujourd’hui, il prendrait les exemples dans notre société, alors que, dans deux mille ans, on ne comprendra peut-être pas davantage comment il était possible à notre époque que des dirigeants gagnent jusqu’à 400 fois le smic (jusqu’à 4 millions et demi d’Euros). L’écart n’est-il pas encore plus grand qu’entre le maitre de l’époque et son esclave ?

Il est vrai, il existe une différence essentielle entre l’esclave de l’époque et l’employé d’aujourd’hui : l’esclave appartient au maître. Là encore, nous n’allons pas nous lancer dans un débat pour savoir s’il vaut mieux être un smicard qui a du mal à nourrir sa famille, un SDF qui meurt de faim et de froid, ou un esclave qui a de quoi se nourrir, se vêtir et vivre avec sa famille.

Le débat peut être intéressant, mais ce n’est pas là le sujet de notre texte.

Le point de comparaison, c’est que le maître a acheté son esclave. Nous, de notre côté, nous confessons : « Je crois que Jésus, […] m’a racheté, moi, perdu et condamné, en me délivrant […] afin que je lui appartienne et que je vive dans son Royaume pour le servir […]. » (Martin Luther, Petit Catéchisme).

Nous ne nous offusquons pas de ce que Jésus nous ai rachetés pour que nous lui appartenions. S’il ne l’avait pas fait, nous serions restés liés à Satan et à la damnation éternelle.

Appartenir à un maître comme lui, qui nous aime plus que sa vie, qui a souffert la damnation à notre place pour que nous n’ayons pas à la connaître, qui a payé pour que Dieu soit réconcilié avec nous et nous accepte dans sa famille éternelle, cela nous gênerait ? Alors nous n’aurions rien compris.

Non, cela nous remplit de gratitude envers lui, cela nous pousse à le servir pour lui montrer notre gratitude. Nous ne le faisons pas pour gagner ou mériter le pardon et le salut ; nous le faisons parce qu’il nous l’a déjà accordé, ce pardon et ce salut.

Nous ne le servons pas pour lui présenter ensuite une facture, pour lui faire connaître nos revendications, pour lui faire comprendre que nous avons des prétentions.

Que pourrions-nous revendiquer de plus que nous n’ayons déjà reçus ? Paul nous dit : « La grâce de Dieu vous a été accordée en Jésus-Christ. En lui vous avez été comblés de toutes les richesses […]. Ainsi, il ne vous manque aucun don. » (1 Co 14-7)

Non, il ne nous viendrait pas à l’idée de vouloir faire valoir des prétentions pour le service que nous avons la grâce et l’honneur de rendre à notre Sauveur bien-aimé.

D’ailleurs, nous ne pouvons même pas prétendre, comme l’esclave de notre texte, que « nous aurions fait ce que nous devions faire » (v. 10). Un employé peut dire à son chef : « J’ai fait ce que tu m’a demandé de faire. »

Sur le plan spirituel, « ce que nous devions faire » « être parfaits comme notre Père céleste est parfait » (Mt 5.48) – nous ne le faisons qu’imparfaitement. Nous n’avons donc guère de mérites à faire valoir. C’est notre Maître qui a été parfait à notre place.

En ce sens, notre histoire personnelle est tout à fait différente de celle de l’esclave d’un maître de l’époque. Notre Maître se fait serviteur pour réparer notre service imparfait.

Et grâce à son intervention, notre service – utile, certes, mais néanmoins imparfait – est cependant « agréable à Dieu ».

Restons humbles, certes, mais plein de joie, parce que le service que le Seigneur nous demande est utile dans son Royaume et dans le monde !

Qu’il nous y assiste et nous bénisse dans sa grâce !

Amen.

Jean Thiébaut Haessig

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